INTERVIEW CROISÉE
MAUD DUBOIS (VERALLIA)
Après 12 années passées chez Verallia, j’ai pris la direction du pôle marketing France il y a un an. J’ai travaillé avant cela dans la commercialisation des vins et champagnes en grande distribution pendant de nombreuses années.
CYNTHIA FOSSIER
Je suis arrivée dans le Groupe Arvitis en octobre 2019 en tant qu’adjointe responsable cuverie et tirage auprès de Laurent Fédou. Aujourd’hui je suis responsable de la cuverie et Cheffe de cave de la Maison Canard-Duchêne.
Nous le savons depuis les premiers bilans carbone de la filière : la fabrication du verre est responsable de 30 à 40 % des émissions de carbone équivalent sur tout le cycle de vie d’une bouteille. Depuis 1 an et demi, les équipes de Canard-Duchêne ont entamé une démarche d’allègement avec Verallia. Cette collaboration démontre une fois de plus que travailler avec ses parties prenantes permet d’amplifier notre impact dans la lutte contre le changement climatique. Cynthia et Maud nous en disent plus sur le déroulement du partenariat, les bénéfices et les freins que l’on peut rencontrer dans ce genre de projet.
1 – Pourquoi avoir choisi le format œnologique (ex Charles VII) pour mener des travaux d’allègement ?
CF: La décision a été assez évidente puisque c’est la bouteille la plus lourde de notre gamme. Elle est stratégique également puisque nous avons des ambitions fortes de premiumisation de cette bouteille et la volonté d’en augmenter le volume en CHR dans le futur. En lançant ce projet sur la gamme des iconiques, Canard-Duchêne contribue à lutter contre la croyance selon laquelle seules les bouteilles lourdes protègent des vins raffinés.
2 – Comment se mène un projet d’allègement de bouteille ?
CF : Une fois le choix de la bouteille arrêté, il est essentiel de s’entourer du bon partenaire verrier. Verallia, avec qui nous entretenons une relation de confiance depuis de nombreuses années, s’est imposé comme le collaborateur idéal. Ensemble, nous avons défini un cahier des charges précis, puis Verallia a développé des maquettes 2D et des prototypes 3D. Les bouteilles pilotes ont ensuite été testées par nos équipes de tirage, dégorgement et habillage pour vérifier leur compatibilité avec les lignes de production.
MD : Les projets d’allègement sont les plus complexes à mener. Ils requièrent en général entre 9 et 18 mois de travail collaboratif (versus 7 à 9 mois pour un développement sans considération du poids). Une vingtaine de personnes sont mobilisées. Nous commençons par un plan verre (les différentes maquettes) qui nécessite entre 1 et 3 essais. Une fois qu’une maquette en plexiglass est validée, nous passons au plan moule. La coque extérieure du moule est plutôt facile à construire. C’est le préformage (comment répartir le verre à l’intérieur du moule) qui permet de démontrer notre savoir-faire.
3 – Au-delà de l’aspect évident de la sécurité des consommateurs, quels peuvent être les freins (techniques, financiers, etc.) à l’allègement du reste des bouteilles au sein du Groupe et en dehors ?
CF : L’investissement nécessaire, sans hésitation. Il peut être conséquent, d’autant plus si certaines caractéristiques de la bouteille doivent être repensées. Dans ce cas, ce sont les lignes
de production qui doivent être revues. Pour la bouteille œnologique, maintenir nos installations existantes était un impératif. Il faut trouver le bon équilibre entre innovation durable et rentabilité économique.
MD : Aujourd’hui, nous avons réussi la prouesse de réaliser une bouteille standard à 800 grammes. On peut souvent réduire le poids des formats spéciaux, mais pour l’instant on ne peut pas s’aligner sur la nouvelle champenoise.
En dehors de la Champagne, des progrès restent à faire en matière de réduction du poids des bouteilles et la transition culturelle s’annonce encore plus complexe. En Chine, le poids du verre demeure le premier critère pris en compte. Pourtant, un grand cru conserve sa valeur, quel que soit le contenant.
Il est absurde que certaines bouteilles de vins tranquilles soient plus lourdes que celles de champagnes. Heureusement, des signaux encourageants émergent : récemment, un client grand cru a commandé des bouteilles allégées de 35 % !
4 – Comment Verallia s’investit dans la réduction de son empreinte carbone ? Quels sont les axes de priorité ? Les éventuelles difficultés rencontrées ?
MD : Au niveau du Groupe, nous poursuivons l’objectif de réduire de 46 % nos émissions de CO2 d’ici 2030 et d’être net zéro en 2050. Cette trajectoire, validée par la SBTi et la CDP, est une source de fierté pour nous.
Sur les scopes 1 et 2, notre action consiste principalement à décarboner la fabrication du verre dans nos usines. Aussi, nous avons mis en service notre premier four électrique, une innovation majeure qui réduit de 60 % les émissions de CO₂ par rapport à un four traditionnel.
Sur ces postes d’émission, le défi le plus important est celui du temps. Il s’agit d’optimiser la durée de vie d’un four traditionnel avant de pouvoir le remplacer par un four électrique.
Sur le volet aval de notre scope 3, qui concerne l’utilisation des bouteilles, nous encourageons nos clients à éco-concevoir leurs emballages en misant sur trois axes : l’allègement, le réemploi et la recyclabilité.
La difficulté majeure sur cet aspect est de les convaincre d’alléger leurs bouteilles. Beaucoup craignent un impact négatif sur leurs ventes, en particulier à l’international. Pour lever ces freins, nous collaborons avec des bureaux d’études qui s’intéressent au comportement des consommateurs pour accompagner la transition culturelle.